Ma chronique du 24 novembre dans l'émission Lumière de l'orthodoxie, sur Radio Notre-Dame, portait sur la décision récente, par la mairie de Paris, d'attribuer à une voie nouvelle du 15e arrondissement de la capitale, le nom de Marie Skobtsov. C'est un hommage à une grande figure de l'émigration russe à Paris: Mère Marie, à la fois sainte de l’Église orthodoxe et déclarée "Juste parmi les nations" par le mémorial de Yad Vashem. Ci-dessous: le texte de cette chronique.
J’ai la joie de vous annoncer aujourd’hui une excellente nouvelle qui est aussi un évènement : la mairie de Paris a décidé de donner à une voie du 15e arrondissement le nom de rue Marie Skobtsov.
Le 4 novembre le Conseil du 15e a voté la décision et le 12 novembre ce
fut au tour du Conseil de Paris, les deux à l’unanimité. Pour
comprendre la portée de cet évènement, il faut connaître quelques
éléments de la vie étonnante de Marie Skobtsov, que nous appelons plus
volontiers en orthodoxie Mère Marie (photographie ci-dessus).
Née Elisabeth Pilenko, en 1891, à Riga,
alors dans l’Empire russe, issue d’une famille aristocratique, avec des
origines françaises, elle révèle très tôt à Saint-Pétersbourg ses dons
de poétesse et fréquente les salons littéraires en vue. Militante, elle
devient lors de la Révolution de 1917, la première femme maire d’une
ville en Russie. Mais opposante au régime, elle se retrouve sur les
routes d’Europe avec son second mari et ses enfants. Elle arrive
finalement à Paris en 1923. Différents évènements et sa foi l’amènent à
devenir moniale en 1932 sous le nom de Mère Marie. Elle choisit de
rester à Paris pour y exercer une action caritative envers les démunis
de l’émigration russe. C’est ainsi qu’elle crée en 1935 un foyer au 77
rue de Lourmel dans le 15e. Tous les matins, très tôt, elle
part en trainant une charrette jusqu’aux Halles pour récupérer les
invendus et ce que l’on veut bien lui donner afin de nourrir tous les
déshérités qui viennent à son foyer. C’est aussi un lieu de
célébrations, une église s’y trouve, mais également de rencontres
intellectuelles où se rend entre autres Nicolas Berdiaev. Mère Marie fait montre d’une activité débordante et multiple : elle nourrit, écrit, brode, dessine.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le
centre accueille des réfugiés, mais aussi délivre des faux certificats
de baptême, aide certains à échapper aux recherches de l’occupant. En
juillet 1942, Mère Marie parvient à sauver des enfants enfermés au
Vélodrome d’hiver, où elle a pu entrer, en les dissimulant dans des
poubelles. Toutes ces actions lui vaudront, bien des années après, le
titre de « Juste parmi les nations » décerné par le mémorial de Yad Vashem.
En 1943, suite à une dénonciation, elle est arrêtée et déportée au camp
de Ravensbrück. Là, elle est au cœur d’un groupe de prière dans lequel
se trouve notamment Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Mère Marie soutient,
réconforte, prie. Ayant eu la chance de rencontrer une de ses proches
compagnes de captivité, Jacqueline Pery-d'Alincourt (deux entretiens avec elle sur ces pages: 1, 2), membre de ce groupe de prière, j’ai appris
combien la présence et le rayonnement de Mère Marie ont été précieux
pour ses compagnes pour survivre dans cet enfer. Mais, le 31 mars 1945,
qui est cette année-là le vendredi saint, elle est gazée, peut-être en
prenant la place d’une autre personne. En 2004, elle a été canonisée par
le Patriarcat œcuménique de Constantinople en même temps que son fils
Georges, que le prêtre Dimitri Klépinine et Ilya Fondaminsky, un juif
converti à l’orthodoxie, tous œuvrant avec Mère Marie, tous morts en
déportation.
Le fait de donner le nom de Marie
Skobtsov à une rue de la capitale est une double reconnaissance d’une
grande portée. D’une part, bien sûr de la personne et de son action,
mais aussi d’elle comme représentante de l’émigration russe qui en grand
nombre a peuplé Paris durant l’Entre-deux-guerres. L’inscription du nom
dans l’espace public de la capitale est non seulement reconnaissance,
mais aussi intégration dans la mémoire et l’histoire officielle de la
société. Le 15e arrondissement est un choix très judicieux.
Durant l’Entre-deux-guerres 4000 familles de l’émigration russe y ont
vécu, environ 10% de la population de l’arrondissement. Une vie
foisonnante, culturelle, artistique, religieuse, associative et aussi
commerçante, liée à cette émigration, s’y est développée. Aujourd’hui
encore, trois paroisses de tradition russe s’y trouvent. La nouvelle rue
sera à deux pas du foyer fondé par Mère Marie, au 77 rue de Lourmel,
puisqu’elle débouchera entre le n°84 et 88 de cette même rue.
Pour terminer, il convient de remercier à
ce micro une élue qui a joué un grand rôle dans cette décision. Il
s’agit de Ghislène Fonlladosa, maire-adjointe à la culture et au
patrimoine du 15e, conseillère de Paris, dont l’engagement et la
persévérance ont permis cet évènement qui nous réjouit et réjouira un
grand nombre de personnes.