Ma chronique du 16 février dans l'émission Lumière de l'orthodoxie (textes et enregistrement), sur Radio Notre-Dame, évoque le retournement vers l'intérieur à partir d'un passage de l’Évangile de Luc, le passage relatif au "Fils prodigue", plus particulièrement lorsqu'il est dit: "Rentrant alors en lui-même, il se dit" (Luc 15, 17). Voici le texte de cette chronique.
Le retour du Fils prodigue par Rembrandt (source) |
Dans l’Évangile de ce jour, celui du Fils prodigue, dans Luc
15, 11-32, le tournant décisif a lieu lorsque le fils égaré prend
conscience de sa misère et par contrecoup de ce qu’il a perdu. Les
choses deviennent alors très claires pour lui. Le moment précis de ce
retournement est ainsi exprimé : « Rentrant alors en lui-même, il se
dit ». Ce court passage est capital et nous indique toute une démarche
d’intériorité. Le verbe grec utilisé a le sens de venir, il nous montre
une action, en l’occurrence un déplacement vers l’intérieur. C’est le
préalable indispensable au retour à la maison du père, image du royaume
céleste perdu.
Il y a véritablement, pour celui qui était perdu, un éveil. L’on pense à la phrase de l’apôtre Paul dans l’épître aux Éphésiens
(5, 14) : « Eveille-toi, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et
sur toi le Christ resplendira. » Le fils accompli une ascèse. Il
comprend sa situation, son malheur causé par son aveuglement, il est
animé par le repentir et manifeste une véritable humilité. C’est
pourquoi, bien que loin, son père le voit et arrive encore plus vite
pour le retrouver, il court dit le texte.
Nous souhaitons nous arrêter ici quelques instants sur ce mouvement de retournement vers l’intérieur, cette métanoïa.
C’est là que tout bascule. Celui qui était dans le désespoir, dans une
voie de perdition, au bout de son illusion, trouve le chemin qui sauve
et la force de le parcourir.
Plus que jamais aujourd’hui, il s’agit
d’un très grand et difficile défi, tant il est profondément vrai que
tout est fait pour nous attirer à l’extérieur de nous-mêmes. Selon une
expression classique aujourd’hui, très révélatrice, véritable impératif
social à la mode, il faut « s’éclater », c’est-à-dire s’éparpiller à la
périphérie, dans une périphérie toujours plus lointaine et extérieure à
nous-mêmes. On ne saurait être plus éloquent !
C’est exactement le contraire que prône l’Évangile : se retrouver soi-même pour aller authentiquement vers l’autre.
Mais ce retour à soi-même est parfois
mal compris. Il ne s’agit pas d’un questionnement mental, même si il
peut aussi s’avérer utile. Les Pères ascètes nous ont enseigné à faire
attention aux pensées et à en rester maître. Car elles-mêmes peuvent
entraîner une déviation du retour sur soi-même. Non pas que la pensée
soit inutile, mais elle peut aussi être une autre illusion et, pour tout
dire, elle l’est souvent. Dans un moment de reprise en main de
soi-même, les pensées peuvent même être très nombreuses,
tourbillonnantes, obsédantes, souvent désespérantes. Dans ce cas, elles
font écran dans la relation aux autres et au monde et constituent vite
d’autres illusions.
Il est important de dire qu’il est
possible de combattre et de mettre de côté, avant de les réduire, ces
pensées, pour les empêcher de nous dominer. L’être humain a ce pouvoir,
mais, finalement, beaucoup trop de personnes l’ignorent, et même en le
sachant, il faut très régulièrement se le rappeler.
Aller à l’intérieur de soi-même donc,
comme le Fils prodigue, ne signifie pas penser beaucoup, mais entrer en
relation avec son être profond qui lui-même a la capacité de communiquer
avec Dieu car, nous le rapporte l’évangéliste Matthieu (6,6) « ton Père
est là dans le secret ». On désigne cet espace intérieur par le cœur,
ou l’âme, tandis que l’esprit est souvent compris par les Pères ascètes
comme la pointe fine de l’âme en relation directe avec Dieu.
Une prière attentive à ce qui est
exprimé et à ce que cela suscite dans l’être, est le vecteur de cet
approfondissement spirituel. Elle est non pas une pensée, mais
perception de l’enseignement que donne l’Esprit Saint selon notre
mesure. Alors seulement s’ouvrent véritablement des portes et des
chemins, incroyable de fécondité, car l’âme est revêtue de celui qui
fait « toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21, 5).